Moins d’un mois après le déboulonnage de deux statues de Victor Schœlcher en Martinique, la fièvre protestataire contre les symboles liés à l’esclavage gagne du terrain dans le monde.
Ce mardi, à Anvers, la sculpture représentant Leopold II, l’ex-roi des Belges, érigée dans un square, a été déboulonnée par la ville qui va l’entreposer dans les réserves d’un musée local. À Bruxelles, il y a quelques jours, un buste de Leopold II a été dégradé par des manifestants, qui l’ont tagué.
Une pétition réclame le déboulonnage de toutes les statues de Léopold II en Belgique
Au nom de « la mission civilisatrice » de la Belgique au Congo, Leopold II avait mis en place un régime colonial responsable de la mort de millions de Congolais. Une pétition a été mise en ligne pour réclamer le déboulonnage de toutes ses statues en Belgique.
Ce mardi, elle était signée par près de 64.000 internautes, sur le site Change.org. Une autre pétition demande, au contraire, le maintien des statues des rois à Bruxelles. Depuis plusieurs jours des statues et autres symboles liés à l’esclavage subissent des dégradations.
Dimanche, au Royaume-Uni, la statue d’un riche marchand d’esclaves, Edward Colston, a été déboulonnée, piétinée puis jetée dans une rivière. Le maire a indiqué qu’il ne la réinstallerait pas et la mettrait dans un musée. Une pétition réclamant le retrait de cette statue qui avait recueilli plus de 10.000 signatures.
Des manifestants appellent à faire pareil en France, une liste en préparation
Samedi 6 juin, des manifestants ont détruit, en Martinique, deux plaques commémoratives, aux Trois-Ilets, l’une dédiée à Joséphine de Beauharnais et l’autre à Léon Papin Dupont qui étaient apposée sur la façade d’une église classée qui a été taguée. Ces destructions n’ont pas été revendiquées pour le moment.
Joséphine de Beauharnais, dont la statue à Fort de France a déjà été décapitée, il y a quelques années, était l’épouse de Napoléon Bonaparte qui rétablit l’esclavage en 1802, après son abolition en 1794. Elle est née dans la commune des Trois-Ilets et a été baptisée en 1763 dans cette église.
Léon Papin Dupont est également né en Martinique en 1797. Il fut un ardent défenseur du culte catholique du XIXᵉ siècle. De plus en plus de voix s’élèvent aussi contre le rôle joué par l’Église catholique dans la Traite négrière.
En France, un appel a été lancé pour que soit listés, au mois de juin, toutes les rues, places ou bâtiments portant le nom d’esclavagistes. Parmi eux, Jean-Baptiste Colbert, ministre au XVIIe siècle et rédacteur du Code noir qui régissait la vie des esclaves dans les ex-colonies françaises.
En 2017, le CRAN appelait déjà à débaptiser les rues Colbert en France et à déboulonner ses statues.
Le Conseil représentatif des associations noires réclamait le remplacement des « statues de la honte », comme celle de Jean-Baptiste Colbert devant l’Assemblée nationale, par des figures de personnalités ayant lutté contre l’esclavage et le racisme. Il avait également pointé du doigt les noms de rues portant des noms comme Balguerie et Gradis à Bordeux, Grou et Leroy à Nantes ou encore Masurier et Lecouvreur au Havre.
Des actions qui font écho au mouvement Black Lives Matter
Depuis la mort, le 25 mai, de l’afro-américain George Floyd par un policier blanc, la question des statues et des symboles liés à l’esclavage et aux colonies est de plus en plus présente dans le débat public.
Le mouvement contre les discriminations « Black Lives Matter » ( « Les vies noires comptent ») a remis au cœur de l’actualité internationale le passé honteux de la Traite négrière transatlantique par les Etats-Unis mais aussi d’autres pays dont la France. Ces actions de déboulonnage font écho à la lutte contre le racisme systémique et les violences policières, menée par Black Lives Matter.
Une purge du passé qui fait polémique
Mais cette purge du passé commence à faire polémique. Faut-il déboulonner les statues ?
Pour Dominique Taffin, directrice de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage, il est nécessaire de rétablir un dialogue face à la « complexité d’une histoire plurielle ».
« Ces actions spectaculaires témoignent d’une forme d’exaspération devant des monuments qui reflètent une histoire univoque et mettent à l’honneur des personnalités controversées », déclare-t-elle dans une interview au journal La Croix parue ce mardi 9 juin.
Elle fait observer que « les personnages historiques visés ne sont pas tous comparables. »
« La destruction de deux statues de Victor Schœlcher en Martinique a fait réagir notre Fondation car, certes il croyait en la colonisation civilisatrice, mais c’est surtout un grand abolitionniste », dit-elle.